vendredi

I can make you a Man / Le féminisme post-moderne et l'expérience Drag


Les amis, j'ai fais une expérience très spéciale. Pour la science, pour la sociologie, pour l'anthropologie, pour l'amour des gender studies, et pour l'amour de vous, chez lecteurs. Tellement spéciale, que j'ai même eu du mal à comprendre pourquoi j'étais aussi enthousiaste.

Comme à mon habitude, je vous donne un petit contexte, pour que vous compreniez la démarche, mais pour vous mettre de l'eau dans la bouche, voilà la bande annonce : pendant une journée, j'ai eu un torse plat et une barbe. Par quel miracle suis-je devenue un homme? Eh c'est parti !


QUEER, GENDER STUDIES : DA F*CK IZ THIS ?
Dans les années 70, c'est la panique aux USA. Les pédés, les gouines et les travelos en tous genres commencent à se dire que c'est point juste, que c'est guère sympathique, et qu'il faudrait revendiquer tout un tas de trucs. Le mot "queer" veut dire bizarre, tordu, et occasionnellement, pédé. Enfin, occasionnellement... c'est une insulte assez récurrente. Alors les LGBT * se servent de ce terme pour définir leur mouvement politique et leur identité.

*  Lesbian Gay Bi Trans. Avis à mes ami(e)s féministes et queers : je SAIS que personne n'apprécie le fait d'inclure le T, vu qu'être trans n'a rien à faire avec les orientations sexuelles contrairement aux L, G et B. Je SAIS que parler "des LGBT" c'est flou, c'est moche, c'est réducteur, mais là, je fais un article, et même si je vous aime, j'ai pas le temps de me casser la tête avec des guillemets partout. Donc tu kiffes.

Queer désigne donc un mouvement à tonalité politique (PMA, adoption, mariage, égalité, stop homo/trans/biphobies) mais aussi un courant de pensée théorique : comme le féminisme, le Queer est théorisé en université par de nombreux auteurs. Pour faire cours, il y a 3 courants dans les Gender Studies.


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constructivisme : c'est la grosse, grosse base de toutes les gender studies. Le genre et le sexe, c'est pas pareil, les amis. Le sexe, c'est ton utérus, tes ovaires, tes testicules et tout le bazar : c'est tes appareil reproducteurs qui indiquent si tu es mâle ou femelle. Mais homme et femme, ce sont en fait des genres, des identités sociales construites. Et donc, tu peux être femelle, mais être un homme. Si, si. Et tu peux être un mâle et avoir envie de te peindre les ongles. Rien à voir avec être gay ni rien, c'est juste : sexe et genre, c'est pas pareil. Le genre, lui, est construit socialement.


- différencialisme : il y a une essence homme et une essence femme. Si tu as un pénis, bon, t'es pas obligé d'être viril mais tu as quand même des dispositions biologiques... d'ailleurs les cerveaux hommes/femmes sont différents. Alors, faut savoir que pour la plupart des féministes, le différencialisme, c'est le mal (vous allez voir pourquoi). On dit même "essencialisme", et ça les amis, c'est une insulte. Insulte que j'ai reçu dans mes premiers cours de genre, parce que je pensais vraiment que les cerveaux hommes/femmes étaient pas pareil à la naissance. Ce qui est archi faux.

- post-moderne ou queer : et d'abord, pourquoi il n'y aurait que deux options? Les catégories genrées sont trop étroites pour les réalités. Alors vas-y, sers-toi dans le grand bac de la vie, tu peux être homme, femme, intersexe, trans, troisième sexe, indéterminé, micro-onde, hamster.


Vous avez compris? Nickel.

Les femmes sont des femmes,
peu importe leur sexe: sexe et genre
en opposition
Pour vous faire une idée, regardez The Rocky Horror Pictures Show : avant toute chose, c'est une excellente parodie de film d'horreur, avec beaucoup d'humour, et des chansons géniales. Mais c'est aussi un film Queer, qui illustre parfaitement l'idée du truc. Bon, à première vue, quand on vous dit : "Viens avec moi, y'a une soirée queer dans un local", vous avez peur, et c'est normal. Vous imaginez une pièce enfumée avec de la musique bizarre, des gens avec des crêtes et des anneaux dans le nez, habillés en cuir coloré, et vous vous imaginez devoir jongler avec les "il" et les "elle" en craignant de vous gourez.


C'est exactement ça, sauf que ce n'est pas si terrifiant que ça en à l'air. C'est même très conviviale. Faut juste pas tomber sur des cons, mais ça, queer ou pas, y'en a partout, des imbéciles ultra-réac. D'ailleurs, je vous en parle un peu plus loin dans l'habituelle critique anouchkienne.






QUI SONT BONNIE & CLIT ?!

Bonnie & Clit c'est une association Queer sur Lyon, qui organisent des concerts et des soirées sympas avec tout plein de gens. "Mettre dans un shaker une butch à crête atteinte de priapisme, un Queer dégenré définitivement déviant et une fem domina qui n'a pas froid aux yeux. Secouer. Agrémenter de quelques gouttes d'alcool fort. Et Paf... ". J'vous invite à visiter leur page, si vous êtes sur Lyon, et peut-être nous croiserons-nous au détour d'une soirée ! Bref. Je les ai connus grâce à Muche, mon n'amie de cours de genre. *
* petit dialogue pendant une conférence de Kergoat.
" Muche, tu les as connu comment, B&C ?
- Je n'sais guère. Un tweet peut-être, enfin, l'internet mondial."

Vous pouvez regarder le blog de Muche, d'ailleurs, elle raconte nos aventures. Avec Muche et Nadhir, mes potes de socio, on forme un petit trio aimable et poli bruyant et agaçant, et en début d'année, je me suis initiée aux gender studies grâce à elles. Bon, après les premiers jours de "Anouck elle est essentiali-steu", on a finit par trouver des terrains d'entente, on a fait plein d'exposés et de conférences, et on se disait qu'un truc bien, quand même, ce serait un atelier drag.

Puis un jour, ô joie, une nouveauté sur Bonnie & Clit : atelier Drag King au Livestation et soirée à l'Atelier des Canulars. J'en profite pour une page de pub : le Livestation est un bar super sympa, où tu peux grignoter. Mais alors, attention le grignotage : tartines de Nutella où tu te sers-toi-même-ton-Nutella-à-même-le-pot, bols de céréales tout croustillants, brioches, légumes frais, glaces, c'est la folie. Et L'Atelier des Canulars, c'est une salle associative qui reçoit des soirées culturelles alternatives (concerts, resto, ciné club et même chorale).



EUH ATTENDS UNE MINUTE : C'EST QUOI, UN ATELIER DRAG KING ?!

Un Drag King c'est le pendant d'un Drag Queen : une femme qui se travestit en homme, de manière outrancière et temporaire ou occasionnelle. C'est à dire, je n'ai pas décidé de faire une transition et de devenir un homme*, c'était juste pour une soirée. Enfin, vous savez comment c'est, on se dit que c'est juste pour un soir, et finalement, on rappelle quand même...
* famille de moi, si tu lis cet article, soit rassurée car je n'ai pas envie de changer de sexe !


Et atelier, parce que novices que nous étions, nous ne savons pas comment se travestir ! Donc, au Livestation, il y avait les membres géniaux de Bonnie & Clit qui nous ont maquillées, coiffées, habillées, conseillées, pour qu'au final on mette le "ées" tout au fond de notre poche.


Voilà comment ça s'est passé.

Anouck dans le métro
15h

Anouck Champignon s'empare de la bouteille de démaquillant.
Il faut savoir que même si je porte souvent des trucs larges, moches, honteux et criards, je suis quand même coquette, et le démaquillage prend un peu de temps. Mais le pire, c'est les accessoires. Bagues, bracelets, colliers, pins, badges, boucles d'oreilles, piercings, j'enlève tout. Tout, tout, tout. Et ça, les amis, je ne le fais jamais, même pour prendre une douche. Ensuite, j'enfile un de mes vieux baggi immonde du lycée, un t-shirt vert et un sweet gris (H&M, rayon Homme, taille S). Ah, et j'ai un caleçon, aussi. Jaune vif, avec des smileys, car je suis un homme rigolo. J'enfile des baskets, des Ray Bans, et zou : dehors.



16h
Anouck, Nahil et Muche se retrouvent devant le Livestation, intimidées et un peu flipées. Dans mon sac en toile, y'a un soutif et un petit haut, en cas d'urgence je peux m'enfuir en courant. On rencontre l'équipe B&C, on papote avec la serveuse du Livestation, on prend des photos "avant" et on jette des yeux partout. Y'a un stand maquillage assez fou : perruques, fonds de teint, colles, crayons de toutes les couleurs... Et sur une autre table, un atelier bites : des capotes et du coton.


16h30
C'est Muche qui commence son maquillage. Pendant ce temps, avec Nahil, on se fait petites à l'atelier des bites : Lysa nous fait dérouler des capotes et nous apprend à les remplir à notre guise. Kei explique que c'est nécessaire pour la démarche, pas facile de marcher avec un paquet entre les jambes ! De temps en temps, on va voir comment Muche se transforme petit à petit. On rencontre Bloody Jack (ex Morgane), beau costard noir et moustache de dandy.



17h
Muche a disparu, et c'est Valentin qui nous rejoint. C'est complètement fou : c'est tout à fait elle, et en même temps, c'est tout à fait lui. Direction les vestiaires pour enfiler les tenues, mais avant ça, Lysa nous refile des bandes de gaze fine et des épingles : pour Valentin et Nahil, c'est facile, mais pour Anouck, ça commence à devenir très compliqué. Mais avec deux gaines l'une sur l'autre, j'arrive à faire disparaître l'une des rares parties de mon corps que j'apprécie à sa juste valeur : je passe d'un 95 B à rien, rien de rien, à la limite un peu de pectoraux, et mon t-shirt vert reste bien droit sur mon torse.



17h30
Et ça y est, maquillage.
Pendant un long moment, je peux voir Nahil, Valentin, Jack et Boris qui me fixent en gloussant, et ça me stress. Armand me donne des conseils pour que je puisse refaire un maquillage : ombrer les contours du visage et la mâchoire, épater le nez et le front, noircir le tour des yeux avec une couleur proche de la peau, pour que ça passe inaperçu. Ensuite, il se sert des faux cheveux, et coupe des tonnes de petits bouts. Il m'applique de la colle sur les contours de ma mâchoire, et installe petit à petit les faux poils pour dessiner une barbe. Un coup de laque pour faire tenir le tout. Ne pas toucher, ne surtout pas gratter ! Je me demande à quel garçon je vais ressembler : mon père? mon frère? mon ex?

J'ai des cheveux très courts, donc pas besoin d'une casquette ou d'un catogan : dès qu'Armand pose son pinceau, je me rue dans les vestiaires et je regarde dans le miroir. DAMN IT, JANET !
Tu veux une photo de Léo, lecteur?


18h
C'est le tour de Nahil de se faire maquiller. Pendant ce temps là, Valentin, Boris, Max et moi, Léo, on écoute les conseils de Kei pour la posture et le comportement : éviter de sourire, ne surtout pas RIRE, ne pas agiter les bras quand on parle... Moi qui ai l'habitude de bouger dans tous les sens, de rigoler à tout bout de champ et de faire tout un tas de mimiques rigolotes, y'a du boulot. Ne pas s'excuser, ne pas être aimable, parler brièvement mais aller droit au but. Au Livestation, ça devient la cérémonie des Oscars masculins. Bientôt, Nahil disparaît et Nadhir nous rejoint.
Et comme être un homme, ça creuse, on sort tous manger un morceau.


Dans la rue, j'me sens comme ça



18h30
Quand Léo essaye de passer
pour un bonhomme
Là, les amis, c'est l'entrée dans le monde réel en tant qu'homme. Gros, gros suspens. D'abord, il y a les regards des gens dans la rue, mais il fait déjà un peu nuit, alors ... Mais ensuite, et surtout, c'est L'Elfe, le petit ami de Valentin, qui nous rejoint pour manger avec nous. Je me demande comment aurait réagi mon hypothétique copain/ine si j'en avais eu, face à cette drôle d'expérience, mais L'Elfe a l'air de trouver ça vraiment drôle. On entre dans un kébab (très sympa) et là, on fait plus vraiment les malins. Pourtant le serveur est une vraie crème : ou il se doute de rien, ou alors il s'en fout, et ne fait en tous les cas aucune réflexion. Y'a juste un type qui nous regarde bizarre, mais pas de manière agressive, plutôt en mode : "il? elle? micro-onde?".

L'Elfe et Valentin sont ensemble depuis bien 3 ans, et moi je le connais que depuis quelques mois. C'est un gentil garçon, cultivé, élégant, doux, qui ne lève jamais la voix et qui est un peu comme un papa avec les copines de Valentin. Mais d'un coup, c'est plus pareil : il vanne à fond. Sur mes fringues, ma barbe, mes Ray Bans, ma petite taille, et dès qu'avec Jack, Val et Nadhir on ouvre la bouche, il nous rembarre. On lui fait une petite révolte, quand même. Même si notre déguisement ne trompera pas tout le monde, en tout cas, ça a trompé l'homme Elfe, qui s'est mis à nous causer comme à ses potes, et guère comme aux petites demoiselles que nous étions.


20h
Quand Léo marche dans la rue
Il est temps d'aller faire la fête.
On débarque tous à l'Atelier des Canulards, un peu ragaillardi par les meilleurs kebabs du monde. J'ai moins peur du noir. J'ai moins peur de parler fort et de marcher, je me fous qu'on me regarde de travers, j'ai envie d'en profiter pour mettre un coup de pied à quelqu'un, pour être méchant, pour être débile. Je me sens tellement bien que je fais un truc que j'avais jamais fait encore : je prend le numéro d'une fille. Normalement j'attend sagement qu'on vienne me chercher. Là, j'ai plus peur d'être ridicule, j'y vais, c'est tout. *
* elle avait une copine, mais ça coûte rien, non?


Dans le local, c'est plein de fumée, c'est plein de gens délirants et très, très intéressants. Je trouve même une directrice de planning familial qui accepte que je l'interroge pour mon mémoire. Et puis, c'est l'heure du défilé et de l'élection du Meilleur Drag King. Et c'est notre pote Nadhir qui remporte la palme, haut la main, avec sa super tenue de plombier maléfique !



23h
Moi je bosse sur un festival, alors je me sauve dès que Nadhir est élu. Ecrans Mixtes, le festival du cinéma Queer !! Comme je veux bosser dans la culture, je me porte bénévole sur des festivals en tout genres (c'est le cas de le dire) et celui-ci était vraiment super


Le staff du festival quand j'enlève mes lunettes
Je débarque au CNP des Terreaux, badge de bénévole à la main, et l'équipe ne me reconnaît que lorsque j'enlève mes lunettes. Pluie de compliments, qui font vraiment plaisir. Par contre, la séance de cinéma était vraiment, vraiment pourrie, et je vais même pas vous raconter le film tellement c'était merdique (et vu mon goût pour les choses sans intérêt, vous pouvez vous faire une idée du taux de nullité atteint).


Reconnue par un pote
au bout d'une dizaine
de minutes
1h30
Fin du film. L'Elfe, Valentin et moi, on partage un taxi pour rentrer : j'avais peur de prendre le bus tout seul. Être une femme, je dis pas que c'est facile, seulement, je maîtrise bien le rôle. Si un mec m'embête, je sais quoi dire, et où frapper pour faire mal. J'ai toute une palette de sourires pour des occasions diverses et je suscite une sympathie chez les gens, généralement. Mais j'ai jamais été un homme. Et j'ai jamais été trans. Donc si on vient me chercher, je vais être paumé, paumée, pomme. Et être pomme, c'est encore pire que tout. Ma confiance commence à s'évanouir : et si je me fais suivre dans la rue? Insulter? Agresser
Mais le taxi me sauve la vie, pour vraiment pas très cher.

Une fois rentré, je pense n'enlever qu'un côté de barbe et me re-maquiller, pour faire une photo sympa, mais je suis beaucoup trop crevé par le film bidon, la soirée, le kébab, l'atelier, tout ce fourbi incompréhensible. Je me mets à tout ranger dans l'appart, comme il y a personne je fais même du ménage. Puis j'attend. Trop excité pour aller dormir, pas assez réveillé pour travailler, et impossible de retrouver mes seins et mon sourire angélique.


3h
Bon, allez Léo, faut pas abuser là.
Demain, tu te lève tôt, et puis à Ecrans Mixtes il y aura les Sweet Transvestite en invité spécial. Si, tu sais, la troupe de théâtre qui rejoue le Rocky Horror Pictures Show sous tes yeux ébahis, à quelques mètres de toi !

Alors, maintenant, j'ai un petit tiroir spécial pour mon Léo. Dedans, y'a un vieux baggi, un t-shirt vert qui sent la clope, un pull gris tâché de bière, et un caleçon jaune avec des smileys. Y'a une capote rembourrée de coton, qui a l'air un peu déçue, de la gaze et des épingles, une plaque militaire.

Valentin  /  Muche ... 
... et  Nadhir  /  Nahil  !!



ET C'EST LE RETOUR DE MES SUPERBES SEINS...

Survivre dans le métro
Le lendemain, jean bien coupé, t-shirt moulant, talons qui claquent et bricoles clinquantes tout le long des bras. Je suis pas fâchée de retrouver mon rouge à lèvres, et quand j'entre dans le métro, un mec me marche dessus. Une fois, deux fois, "non mais c'est pas bientôt fini, là?!". J'ai du paraître très désagréable, mais ça m'est égal. Et après le festival, quand je rentre (tard) chez moi, j'ai absolument pas peur du noir.


Très honnêtement, je ne sais pas si ça m'a beaucoup apporté, si c'était juste un délire, si c'est le début de quelque chose. J'en ai aucune idée, j'ai pas encore le recul, une semaine après, pour comprendre ce que cette expérience m'a fait. Et je suis une lente, alors j'aurais peut-être une révélation dans 3 mois... On verra bien ! En tout cas, même s'il y a eu des moments bizarres et pas mal d’appréhension, c'était quelque chose à faire.





Maintenant, Nahil, Muche et Anouck se replongent dans les exposés de socio, les livres de Gender Studies et surtout, surtout, leurs mémoires respectifs !!
And now we feel lik a bunch of bad guys.




A BIENTÔT 
POUR DE NOUVELLES AVENTURES !! 
 :D 


I can make you a man


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