lundi

Le gars dans mes cartons.


Tu me saoules, Supertramp.
Te méprends pas, je suis pas en train de t'engueuler, ni même en train de chouiner. De toute façon, je ne crois pas que tu écoutes. C'est plutôt un applaudissement discret : j'admire ta ténacité. J'ai attaqué les cartons, et donc, le grand tri du mois de mai. Comme chaque année, je dois me faire violence pour dégraisser, jeter des bibelots inutiles, ne pas craquer si je veux éviter de mourir lors du prochain déménagement.

Parce que oui, Supertramp, je déménage.
Je me barre pas seulement d'ici, je me barre de tout. Je fais comme toi. Cinq ans passés à tes côtés, je me décide enfin à tirer un enseignement de ton caractère de cochon et de ton opiniâtreté : je me casse. Tu sauras bien assez vite où, quand, et pourquoi, vu que tu ne pourras pas t'empêcher de chercher.

Et y'a des morceaux de toi partout. C'est une catastrophe, Supertramp, vraiment, je sais pas comment tu as réussi cet exploit. Y'a pas un seul meuble qui se déplace sans grincer sous ton visage, sous tes lettres, sous tes cadeaux, ou sous tout ce que je t'ai donné et que tu m'as renvoyé. J'ai bien du passer une heure à me lire, de moi à toi, sur des cartes postales ou sur des enveloppes customisées. Je me retrouve avec un carton plein de toi, de fringues, de breloques, d'albums, et avec cette même putain de question que je me pose tous les deux mois depuis deux ans : qu'est-ce que je fais de toi?

Tu m'encombres, mais tu me rassures. Savoir qu'au coin d'un tiroir, y'a peut-être un bon souvenir dans lequel se replonger, c'est bon pour le karma. Et de toute manière, je veux personne d'autre dans mes tiroirs. Y'a pas la place, même avec tout ce que j'ai jeté de toi, y'a pas la place. Tu sais pourquoi, Supertramp? Parce que je suis bien sans toi.

La question de l'homme des cartons, donc. Est-ce qu'il faut lui faire un sort? Tout lui expédier, tout brûler, tout conserver précieusement? Et est-ce qu'il faut décider de ça là, maintenant?

Ce que je sais, c'est que j'en ai marre de trimbaler de toi partout où je vais : me porter moi-même, c'est déjà assez fun comme ça.

Ce qui m'amuse, c'est que tu n'as pas ce problème, vu que les souvenirs, c'est pas ton truc. Tu as réussi l'objectif de tes 16 ans, pouvoir partir sans attaches, n'importe où, n'importe quand. Tu vas dire que les saloperies que je t'ai faites pèsent leur poids elles-aussi, et peut-être que tu en chies. Au moins, on continue d'avoir ce point commun : on en chie d'être seuls, on est ravis d'être seuls. Je me demande ce que tes exs ont gardé de toi. Je me demande si moi aussi, quelque part, j'ai un carton avec mon nom dessus, chez toi, chez elles, chez eux.

Mais ça va changer. Si pendant cinq ans on a réussi à évoluer, à s'adapter, c'est qu'on est pas complètement cons. Déjà, tu n'es plus le seul à bouger : avant, c'était toi qui vagabondait, en rasant et en brûlant à chaque nouveau départ. Maintenant on est deux à brouiller les pistes et à faire des feux de joie.

Je me casse, Supertramp. Être ta femme m'a donné beaucoup de joie et beaucoup de force. Je n'oublie pas ton intensité, ta fougue et ta ténacité, tout ce qui fait de toi l'Aventurier que tu as toujours voulu être. On pouvait pas être deux à vouloir faire nos valises... On va enfin pouvoir exister, toi pour toi, moi pour moi, dans nos mondes si délicieusement égoïstes. J'ai enfin trouvé ce que j'allais faire de ma peau. De toute façon, aucun de nous n'aurait pu suivre l'autre, maintenant qu'on a décidé d'être heureux. Toi sur ton bateau. Moi sur ma scène. Parce que c'est là que je vais, figure-toi. Là où y'a une place qui m'attend depuis le début, là où tu me verras peut-être quand on sera vieux et fatigués, là où je veux passer ma vie.

T'as eu l'idée du siècle en partant. J'ai eu l'idée du siècle en t'écoutant.
Notre première décision d'adultes, en somme !
Bien joué, partenaire. On a tenu cinq ans, on a fait ça presque proprement.
Je te souhaite bonne chance, en toute sincérité et en toute amitié.
Passe quand même récupérer tes affaires, un jour ...


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